La chanteuse malienne publie « Né so », un sixième album engagé, ouvert à tous les métissages musicaux.
Rokia Traoré est une nomade. Une artiste qui partage sa vie entre Bruxelles, la France où son conjoint dirige un festival de danse et de théâtre à Marseille, Bamako où elle a grandi et les Etats-Unis où elle travaille beaucoup. Elle va passer les prochains mois en tournée, zigzaguant entre Ancien et Nouveau Continent puis retournera à Bamako où elle a créé, il y a quelques années, une fondation pour aider l’économie de la musique et des arts de la scène au Mali. Cette existence n’est pas nouvelle pour la chanteuse puisque, fille de diplomate, elle vécut toute son enfance au gré des nominations de son père à travers le monde.
Sa carrière s’est construite lentement mais solidement : six albums en dix-huit ans, le dernier, « Né so », a été écrit en français et en bambara, la langue nationale du Mali, mais elle y chante aussi, en anglais, une reprise de « Strange Fruit » de Billie Holiday. L’album, mélangeant musiques occidentales et africaines, sonorités rock et mandingue, musiciens maliens et anglo-saxons, voit défiler des guests prestigieux : le guitariste John Parish, John Paul Jones, producteur et ex-bassiste de Led Zeppelin, Devendra Banhart. « C’est la suite d’une démarche commencée sur le précédent album pour reprendre racines au Mali en y impliquant l’Occident. Je me suis trouvé une section rythmique en Afrique de l’Ouest pour pouvoir plus facilement tourner en Afrique. Quand ma tournée sera terminée, je retournerai à Bamako pour m’occuper de ma fondation. Dans la société malienne, la musique demeure un important vecteur d’éducation, mais son économie est fortement entravée par les conséquences de la tradition de gratuité, a priori, du travail artistique. »
ROKIA TRAORÉ A FAIT PARTIE DU JURY DU FESTIVAL DE CANNES 2015
La crise et les conflits du Mali ont nécessité une réorganisation de sa carrière. « Pour travailler facilement en Afrique, je dois collaborer avec des gens qui y sont établis ou y ont de fortes connexions. Se produire sur le continent n’est pas une chose facile en raison de l’inexistence de l’industrie et de l’économie. Et là-bas on ne trouve pas beaucoup de journalistes qui écrivent sur la culture et les arts africains. C’est un problème car cela déforme la réalité, même à l’étranger. L’infrastructure existe mais c’est compliqué de tourner, l’avion revient cher et en bus ce n’est pas évident. La sécurité à Bamako est aussi un problème. Mais pas moins qu’ailleurs, malheureusement… »
Rokia Traoré est devenue l’artiste africaine de référence, celle que la modernité ouvre à tous les genres. Peter Sellars lui a demandé, en 2010, de participer avec la romancière Toni Morrison à la création de « Desdemona » ; le trompettiste Erik Truffaz l’a invitée sur l’enregistrement de son dernier album et elle a fait partie du jury du Festival de Cannes 2015. Une plongée dans le monde du glamour et des stars qui ne lui a pas fait tourner la tête et dans lequel elle se sent à l’aise. « Je ne me considère pas comme une star. Cannes a été une expérience très enrichissante car ça m’a emmenée dans un domaine artistique qui n’est pas le mien. » Cela lui a-t-il ouvert les portes ? Lui offre-t-on des rôles au cinéma ? « Pas plus qu’avant, on me propose toujours des scénarios qui ne m’intéressent pas du tout. C’est un monde très lié à l’industrie du luxe et, dans ce milieu-là, je n’ai pas vraiment le profil qui les intéresse. Pour eux, l’acheteur potentiel de grandes marques va plutôt s’identifier à une Blanche… » Mais ce n’est pas dans le tempérament de Rokia Traoré de se poser en victime, qu’il s’agisse de sa couleur de peau ou de sa condition de femme : « Je n’ai pas plus de mal à me faire respecter en tant que femme en Afrique qu’en Europe. Je ne me mets pas dans cette position de faiblesse… » N’en doutez pas, la force est vraiment avec elle !
« Né so » (Nonesuch/Warner Music). En tournée actuellement.
Source : parismatch